Anne-de-Rohan

Anne-de-Rohan

Prière de Mademoiselle de Rohan en son affliction pour la perte de Madame sa Mère

Prière de Mademoiselle

Anne de Rohan

en son affliction pour la perte de Madame sa Mère,

 

Faite au Parc

 

 

Ecoute, ô Seigneur, quand je crie

Dedans ma rude affliction.

Exauce l'Ame qui te prie

Par ta douce compassion.

Mes yeux suppléent à ma langue,

Par soupirs je fais ma harangue,

Et mes temblantes mains je tends

Au lieu d'où mon secours j'attends.

Tu promets, pitoyable Père,

D'être près du coeur désolé:

Que le mien qui en toi espère

Doncques par toi soit consolé.

 

Las! tu me vois quasi semblable

A ceux qu'on dévale au cercueil,

De deux jours l'un n'étant capable

Que du sentiment de mon deuil.

Mon oeil se ferme à la lumière,

N'ayant sa vigueur coutuumière,

Mon oreille se bouche au son

De l'harmonieuse chanson

Sans marcher je me sens lassée,

Mon sommeil n'est point un repos,

La crainte occupe ma pensée,

Et le froid engourdit mes os.

 

Ceux que j'aime plus que moi-même,

Qui de moi doivent avoir soin,

Ne peuvent en mes maux extrêmes

Que les soupirer de bien loin.

Je sais que chacun d'eux se lamente

Pour la douleur qui me tourmente.

Je n'ignore que cette croix

Nous est départie à tous trois,

Que cet ennui que je supporte

A mes frères est bien cuisant:

Mais,las! tu sais qu'à la moins forte

Ce fardeau semble plus pesant.

 

Après tant de peines souffertes,

De frayeurs les jours et les nuits,

Famine, froid, prison et pertes,

Tant de divers genres d'ennuis,

Fallait-il, ô douleur amère!

Que je visse mourir ma mère?

Il le fallait, tu le voulais,

Et tes volontés sont mes lois.

Ce que tu veux est équitable,

Puisque tu es Dieu d'équité;

Ce que tu fais est profitable,

Car tu es la même bonté.

 

Cette personne digne et chère,

Pour qui je vais tant gémissant,

Auparavant qu'être ma Mère

Fut ta Fille, Dieu tout puissant,

Tu aimais cette âme fidèle

Que je n'étais encor à elle.

Sa piété, comme sa Foi,

N'eurent jamais d'objet que toi.

Et puisque c'est ta main auguste

Qui nous prête tout notre bien,

N'est-il pas raisonnable et juste

Que partout tu prennes le tien?

 

Mais pourquoi ne l'ai-je suivie

Au tombeau, comme aux autre lieux?

Et pourquoi ne fus-je ravie

Avec elle dedans les Cieux?

Pourquoi la Famine ou la Guerre

N'ont-elles mis mon corps en terre?

Las! pourquoi du puissant vainqueur

Pour moi fut amolli le coeur?

O Tout-bon Eternel, ne souffre

Que mon esprit à toi criant

Fasse plus de mal qu'il n'en souffre,

Et qu'il t'offense en te priant.

 

Seigneur, pardonne à mes demandes,

Et n'exauce que mes saints voeux.

Fais en moi ce que tu commandes,

Et commande ce que tu veux.

O Tout-puissant, fais-moi comprendre

Que tu es Dieu, que je suis cendre,

Tu es tout, et je ne suis rien.

Je fuis le mal, tu fais le bien.

Déchasse la tristesse vaine

Dont mon coeur est si fort touché,

Au lieu de déplorer ma peine

Fais-moi détester mon péché.

 

Que je te confesse mes fautes,

O Seigneur, ta loi nous apprend,

Qu'en mesure elles sont trop hautes,

Et que le nombre en est trop grand:

Que même nos pensées vaines

Surmontent des mers les arènes,

Nul guet ne les saurait compter,

Aucune langue raconter.

Mais si nos péchés sont extrêmes,

O Tout-bon, Parfait des parfaits,

Tes bienfaits vers ceux que tu aimes

Surmontent de loin nos méfaits.

 

Mais voici de tes biens la somme,

Pourquoi je t'adore en tout lieu;

C'est que tu fis Dieu, fils de l'homme

Pour rendre l'homme enfant de Dieu,

Tu daignas livrer ton Unique

Pour délivrer un peuple inique,

Le maître se fit serviteur,

Le créancier devint deb(i)teur:

Moi ta brebis j'ai pour pâture

La chair de mon Divin Pasteur,

Et tu lavas ta créature

Dedans le sang du Créateur.

 

Fais-moi donc louer tes merveilles,

Au lieu de plaindre mes malheurs;

Chanter tes bontés nonpareilles,

Au lieu de pleurer mes douleurs.

Soit que je meurs ou que je vive,

Que ta Divine Loi je suive,

Que vers toi seul j'élève aux cieux

Mon âme, mes mains et mes yeux;

Que mon étude soit ta crainte,

Mes délices soient ton amour,

Et qu'un jour ta demeure sainte

Soit mon sempiternel séjour.



12/08/2012
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