Plainte sur le même sujet (02)
Plainte sur le même sujet (2)
(Sur la perte de sa mère)
Alors que le grand oeil du monde
Tire son chef du sein de l'onde
Pour ses beautés nous étaler,
Et quand sa soeur dans le ciel erre
Mes pleurs descendent sur la terre,
Et mes soupirs montent en l'air,
Je plains cette personne chère,
Qui me servait seule de Mère,
De Frères, de Père et de Soeurs:
Le chagrin contre ma coutume
Me repaît ores d'amertume
En suite de tant de douceurs.
En mes maux presques indicibles
Je parle aux choses insensibles
Qui ne peuvent secourir:
Et dis en ouvrant ma fenêtre,
O beau jardin, qui m'as vu naître,
Pourquoi ne me vois-tu mourir?
Vous arbres, de qui la verdure
Ne redoute point la froidure
Bien que vous aimiez le temps beau,
Droits Cyprès, votre aspect me tue,
Las! au lieu de borner ma vue,
Vous devriez orner mon tombeau.
O vous ondes claires et nettes,
Fidèle miroir des Planètes,
Où jadis tant de doux accords
Sur nos luths nous faisions descendre,
Las! pourquoi ne voit-on ma cendre
Croître le sable de vos bords?
Vous chaussée toujours couverte
D'herbe courte également verte,
Promenoir pour moi superflu,
Issues quasi sans pareilles,
Las! pourquoi ne les vois-je plus?
Parfois seulette et triste j'ose
Aller où ce cher corps repose,
Que j'estime plus qu'un trésor:
Lors je dis au deuil qui me serre,
Faut-il qu'un peu de plomb enserre
Celle qui valait mieux que l'or?
Ainsi je plains mes maux extrèmes,
N'ayant de témoins que moi-même:
Puis je dis dans ce lieu secret,
Fais, Seigneur, par ta grâce immense,
Que les pleurs de la pénitence
Succèdent à ceux du regret.
Ma messagère au ciel j'envoie,
Rends-lui, dis-je, ô ma seule joie
Mon Sauveur, de mon deuil touché,
Baigne de pleurs son Trône auguste,
Et va baiser les pieds du juste
Jadis percé par mon péché.
Dis-lui, ô Seigneur débonnaire,
Aie pitié de la misère
De celle qu'il t'a plu bénir.
Tu promets d'aider au fidèle,
Tu auras doncques pitié d'elle,
Car à toi promettre est tenir.
Toi, qui fus sans tache et sans tare,
Tu pleuras ton ami Lazare
Allant ressusciter son corps:
Prends pitié de la peine amère
De celle qui pleure sa Mère,
Et pour sa mort sent mille morts.
Tu l'as fait naître en ton Eglise,
Qui est un honneur que je prise
Plus que sa Race mille fois:
Ta crêche lui est délectable,
Et les valets de ton étable
Lui sont plus que les plus grands Rois.
Change sa profonde tristesse
En une parfaite liesse:
Que tout son espoir soit en toi:
Que ta promesse la console,
Qu'elle ait pour règle ta parole,
Et ton commandement pour loi.
Voilà comment je parle à celle
Qui en tout temps est toujours belle:
Cette utile et sage Oraison,
Sur laquelle Dieu seul domine,
Qui me reput dans la famine,
Et me suivit dans la prison.
Après je dis, Seul adorable
Sois-moi sur terre secourable.
Et veuilles qu'un jour dans les cieux
Mon âme en tes bras soit jetée,
Que Tout-bon tu as rachetée
Par ton sang pur et précieux.
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